mercredi 3 décembre 2008

Un square Léo Ferré dans le 12e


Le 17 novembre dernier, le Conseil d'arrondissement du 12e a approuvé à l'unanimité l'attribution du nom "Léo Ferré" au nouveau square situé dans le secteur Brûlon-Citeaux. Voici le texte de mon intervention :


Mes chers collègues,
avec le temps...
avec le temps, va, tout s'en va

on oublie les passions et l'on oublie les voix


Cette voix qu’on ne veut pas oublier, c’est celle de Léo Ferré. Auteur, compositeur, interprète, Léo Ferré restera comme un poète de langue française marquant du XXe siècle. Dans ces textes, il mêle le lyrisme et l’argot, l’amour et l’anarchie. Son œuvre est immense, diverse, puissante. On y trouve des chansons qui célèbrent l’amour, chansons romantiques et gouailleuses, chansons érotiques, ou chansons tristes, nostalgiques. On y trouve des textes plus hermétiques aussi, envoûtants.

Et on y trouve des textes politiques bien-sûr ; quand Léo Ferré chante « ceux qui ont gueulé si fort, qu’ils peuvent gueuler encore », les anarchistes ; quand il célèbre son ami l’Espagnol de la rue de Madrid ; quand il réveille Allende ; quand il chante Aragon, "l’Affiche rouge", souvenez-vous :
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos « Morts pour la France »
Et les mornes matins en étaient différents

Et puis, pour reprendre l’interrogation de Pascal Boniface, dans une tribune publiée en février dernier : Y a-t-il beaucoup d’artistes qui ont consacré autant d’odes joyeuses, gouailleuses, tendres ou nostalgiques à Paris ? Et j’invite chacun à réécouter "A Saint-Germain-des-Prés", "les Parisiens", "A la Seine", "Paris spleen", "le Flamenco de Paris", "l’Ile Saint-Louis", "Quartier latin" et bien sûr "Paris canaille", et puis "Paname" :
Paname
Si tu souriais j'aurais ton charme
Si tu pleurais j'aurais tes larmes
Si on t'frappait j'prendrais les armes
Paname

Il est donc temps que Paris lui rende la pareille, dans le 12e, au cœur du Faubourg Saint-Antoine, dans ce quartier d’Aligre encore un peu canaille, loin du Paris rupin. C’est là qu’a ouvert cette année le jardin Brûlon Citeaux. Laissez-moi, chers collègues, vous décrire ce havre de paix au cœur du Paris prolo. Installé sur les vestiges d’une cité d’artisans travaillant le bois et le métal, ce jardin s’insère dans une nouvelle opération urbaine comprenant un Hôtel artisanal, dédié aux artisans du meuble et aux métiers de haute technologie, une crèche et quelques bas immeubles de logements sociaux.

C’est un petit jardin forestier tout en longueur. On y chemine par une allée centrale qui serpente , tels « les chemins de traverse » de la solitude chantée par Léo Ferré. De chaque côté du sentier, des buttes de terre forment des vallonnements ponctués d’arbres et d’arbustes de toute sorte. Au centre, de part et d’autre d’un ponton en chêne, une mare apporte de la fraîcheur au jardin. Cet ensemble, aux grilles basses, largement ouvert sur le voisinage, comprend aussi une aire de jeux pour enfants, deux parcelles pédagogiques et un jardin partagé confié à l’association « La Commune libre d’Aligre » dont Léo Ferré n’aurait probablement pas renié l’état d’esprit. Bref, ce jardin, a tout d’un jardin Léo Ferré.

Soyons lucide, chers collègues. Cette apparition de Léo Ferré dans l’espace public parisien ne bouleverse pas l’ordre des choses. Elle n’est pas une révolution. Elle n’est qu’un petit hommage, elle n’est que justice rendue au grand poète. Car plutôt que les petits jardins, ce sont les grands chants qui font les révolutions, et pour reprendre les mots de Léo Ferré :

Avec nos avions qui dament le pion au soleil. Avec nos magnétophones qui se souviennent de " ces voix qui se sont tues ", avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions

N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la Morale, c'est que c'est toujours la Morale des autres.

Les plus beaux chants sont les chants de revendications

Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations.
A L'ECOLE DE LA POESIE ET DE LA MUSIQUE ON N'APPREND PAS
ON SE BAT !