jeudi 10 mai 2012

Hollande et l’appel aux peuples : un tournant pour la social-démocratie ?

Photo : Elsa Peinturier pour le PS

 « Dans toutes les capitales, au-delà des chefs d’Etat et de gouvernement, il y a des peuples qui grâce à nous espèrent, regardent vers nous, et veulent en terminer avec l’austérité. Voilà mon message : vous êtes bien plus qu’un peuple qui veut changer, vous êtes déjà un mouvement qui se lève partout en Europe et peut-être dans le Monde, pour porter nos valeurs, nos aspirations et nos exigences de changement ».


 
J’étais place de la Bastille dans la nuit du 6 mai et j’ai entendu cet appel aux peuples prononcé par François Hollande. Passé inaperçu dans les médias, cet appel m’a touché. Non pas tant qu’il renouait avec une geste révolutionnaire et internationaliste dont le candidat socialiste avait jusqu’ici laissé l’usage à son adversaire du Front de Gauche. Il m’a bien plus touché par le sens qu’il donnait à la victoire de François Hollande : une nouvelle et large brèche s’ouvre dans le consensus libéral, rendant possible la « réorientation de l’Europe » dont François Hollande a fait l’un de ses thèmes de campagne. Mon propos laissera les uns dubitatifs, les autres railleurs. À vrai dire, je n’ignore pas la prépondérance des forces conservatrices aujourd’hui en Europe, ni le parcours de ce proche de Jacques Delors que fut François Hollande. Et pourtant…

Ne sous-estimons pas le chemin parcouru. La crise de 2008 et ses conséquences en cascade – en Grèce notamment – n’ont pas peu contribué à faire évoluer les socialistes français vers des positions que seule leur aile gauche défendait quelques années plus tôt. N’oublions pas que c’est le leader du OUI socialiste au TCE en 2005, qui en 2012 mène une campagne présidentielle victorieuse sur la réorientation de la construction européenne, s’engageant à renégocier un traité déjà signé par 25 Etats membres à l’initiative du couple franco-allemand ! Cette irruption inédite du thème européen dans une campagne présidentielle, c’est aussi la reconnaissance par les socialistes que l’Europe de Jacques Delors n’a pas tenu toutes ses promesses : le marché commun et l’union monétaire n’ont pas donné naissance à l’Europe sociale, la méthode communautaire bipartisane a fait long feu.

Le défi n’est pas mince qui attend François Hollande. Si son appel à un « pacte de croissance » trouve déjà beaucoup d’écho en Europe, les conservateurs l’entendent surtout comme un appel à libéraliser davantage les services et le marché du travail. Ils refusent catégoriquement de renégocier le pacte de rigueur budgétaire. Or pour le nouveau président français, hostile à la constitutionnalisation d’une « règle d’or » budgétaire et critique vis-à-vis de la rigueur imposée notamment aux Grecs, l’indispensable relance de la croissance passe au contraire par une réorientation du rôle de la BCE et par le financement de grands projets européens via la création d’euro-obligations, l’augmentation du capital de la banque européenne d’investissement et la taxation des transactions financières.

Si certains dans l’équipe présidentielle pourraient être tentés – face à l’offensive des marchés financiers contre la zone euro – par un compromis au rabais incluant la ratification du traité budgétaire du 2 mars, le président de la République paraît décidé à l’épreuve de force avec la chancelière allemande. Il sait qu’il pourra s’appuyer sur des peuples européens de plus en plus hostiles à la rigueur, qui l’expriment dans les urnes et dans les rues, et qui pourraient à nouveau se faire entendre à l’occasion du processus de ratification enclenché par les Etats. Un référendum est ainsi prévu en Irlande dès le 31 mai et en Allemagne même, Angela Merkel aura besoin des voix du SPD pour assurer la ratification parlementaire du traité. Car c’est là aussi que beaucoup va se jouer, au sein d’une social-démocratie européenne affaiblie par ses échecs et tentée de voir dans la victoire de François Hollande la voie de son redressement.
 
Hélas, sous l’effet de la crise financière et du ras-le-bol social, la construction européenne tangue. L’euro est en difficulté tandis que la contestation populaire gronde, ouvrant la voie au réveil des nationalismes. Une réorientation s’impose et la renégociation du traité budgétaire voulue par François Hollande – qui n’est déjà pas une mince affaire – n’y suffira pourtant pas. Tout d’abord, le poids de la dette dans certains pays est tel que la question de sa légitimité ne pourra être éludée plus longtemps. Surtout, le Parti Socialiste Européen (PSE), en lien avec ses divers partenaires, doit urgemment franchir une nouvelle étape dans la construction d’un projet commun pour réorienter l’Europe. Outre la relance économique, la priorité doit être à la convergence des normes sociales et fiscales, à la régulation de la finance, à la protection des services publics, à la démocratisation accrue des institutions de l’UE ainsi qu’à un plus juste échange dans le commerce international. C’est une question de justice vis-à-vis des peuples, et c’est une question de survie pour l’idéal européen.

Lionel Jospin lui-même notait sur France Inter le 8 mai dernier : « Nous n’aurions pas pu gagner avec le programme de Jean-Luc Mélenchon. Mais si les socialistes ou la gauche au pouvoir appliquent la politique de Papandréou, de Zapatero ou de Socrates, nous échouerons ». A l’heure où beaucoup de commentateurs observent, dans la victoire de François Hollande, le virage social-démocrate du socialisme français, peut-être faut-il surtout y voir le début du virage à gauche de la social-démocratie européenne.