vendredi 20 juillet 2012

Pour une nouvelle culture scolaire

Contribution thématique pour le congrès de Toulouse du PS, 26-28 octobre 2012

Retrouvez et signez cette contribution sur le site du Parti socialiste.

Face au creusement des inégalités et à l’impératif de démocratisation scolaire, François HOLLANDE avait insisté dans son programme sur sa volonté de remettre l’éducation et la jeunesse au cœur de l’action publique. Cet engagement de campagne s’est d’ores et déjà traduit par des annonces budgétaires et, surtout, par le lancement, le 5 juillet 2012 d’une vaste concertation sur la refondation de l’Ecole, sous l’égide des ministres Vincent PEILLON et George PAU-LANGEVIN.

Nous ne prétendons pas aborder ici tous les enjeux de cette refondation. Nous voulons juste insister sur un point. Tout indispensables qu’elles soient, les réformes organisationnelles ne suffiront pas. L’avènement de l’Ecole de masse, les profondes mutations culturelles de nos sociétés et l’impératif démocratique viennent bousculer les certitudes de l’institution. Franchir une nouvelle étape dans la démocratisation de l’Ecole suppose aussi la refondation de la culture scolaire, pour la rendre plus ouverte à la culture vivante et plus apte à la réussite de tous.

François HOLLANDE l’avait pressenti, qui écrivait dans son programme : « Je donnerai la priorité à l’acquisition des savoirs fondamentaux et d’un socle commun de compétences et de connaissances. Nous transformerons, avec les enseignants, les méthodes pédagogiques » (engagement n°37). Dans le cadre de la concertation initiée par le Gouvernement, cet aspect sera traité par le groupe de travail n°1 (la réussite scolaire pour tous) à travers au moins deux thèmes : « la redéfinition du socle commun » et « le renforcement de l’éducation artistique, culturelle et scientifique ».

A quelques mois d’une nouvelle loi d’orientation pour l’Ecole, ces enjeux nous ont semblé suffisamment politiques pour que nous leur consacrions une contribution dans le cadre du congrès de Toulouse.



1.    Ambition et limites du socle commun


Institué par la loi FILLON (2005), le socle commun de connaissances et de compétences a été progressivement mis en œuvre dans les établissements scolaires, notamment depuis 2010 à travers le Livret Personnel de Compétence (LPC). Hélas, cette réforme n’a pas permis de refonder la culture scolaire.

Le socle commun répondait pourtant à une ambition progressiste du législateur, celle de définir « un ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société ». Le socle commun devait devenir le cadre de référence de la scolarité obligatoire, fixant des objectifs qui devaient fédérer tous les efforts de l’Education nationale. Ses concepteurs y voyaient aussi l’occasion d’ouvrir davantage les pratiques des enseignants au travail d’équipe interdisciplinaire et à l’approche par compétences, considérés comme plus efficaces dans le traitement des difficultés scolaires.

Mais les contradictions du socle commun étaient inscrites dans la loi elle-même. Il y était tout d’abord précisé que, « parallèlement à l'acquisition du socle commun, d'autres enseignements sont dispensés au cours de la scolarité obligatoire ». Ainsi le socle se concentrait-il sur les « bases », les « fondamentaux », tandis que perduraient des programmes disciplinaires plus étoffés.

De fait, avec d’un côté le LPC et de l’autre des programmes régulièrement mis à jour, la scolarité obligatoire se trouve aujourd’hui dotée d’un double référentiel, qui risque d’accentuer encore les inégalités scolaires. Il est à craindre que pour une partie des élèves et des établissements, le socle ne devienne un horizon indépassable : « le socle pour tout le monde et la statue pour quelques-uns seulement ! » (Philippe MEIRIEU au Café pédagogique, 4/11/2010). Alors que le besoin d’élever le niveau de qualification se fait plus pressant en France, l’école obligatoire renoncerait-elle à préparer tous les jeunes, à égalité, à la poursuite d’études ?

Autre contradiction inscrite dans la loi, « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun », mais en même temps, cette acquisition par les élèves « fait l’objet d’une évaluation qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité ». La loi fixe donc à l’Ecole une obligation de moyens, mais elle impose en même temps l’évaluation des performances individuelles en cours de scolarité – qui ne se réduit pas à la certification finale du socle.

Avec le LPC, cette obligation d’évaluer les élèves s’est même transformée en une véritable frénésie évaluatrice, la validation des compétences étant programmée en CE1, en CM2 et tout au long de la scolarité au collège. Cette validation vient s’ajouter aux évaluations existantes sans qu’aucune réflexion globale n’ait été menée sur la place et le rôle de l’évaluation à l’Ecole. Elle ne fait sens ni pour les élèves, ni pour les familles, ni même pour beaucoup d’enseignants, pour qui elle représente surtout une tâche administrative supplémentaire, difficilement applicable et assurément chronophage.

Couplé au Programme Personnalisé de Réussite Educative (PPRE), prévu lui aussi par la loi FILLON, le LPC enferme par ailleurs la scolarisation des élèves en difficulté dans une individuation dont la logique s’avère pernicieuse, puisqu’elle encourage à traiter la difficulté scolaire hors de la classe et à la contractualiser avec l’élève et sa famille, qui en deviennent donc responsables.

Dans le même sens, la numérisation des données scolaires du LPC via divers outils ministériels (Base Elève, Sconet, Affelnet etc.), au motif de suivre l’élève du primaire au secondaire, mémorise et rend accessible pour de nombreuses années le passé scolaire d’un élève, figeant une image de son cursus incompatible avec notre vision de l’enfant, personne en construction qui a le droit à l’erreur et à l’oubli. L’informatisation croissante du suivi scolaire appelle donc un meilleur encadrement juridique, une réelle information des familles et une transparence accrue quant aux usages et aux utilisateurs autorisés de ces données.

Outre ces craintes légitimes de « fichage », le LPC pose à vrai dire d’immenses problèmes pédagogiques. Il s’appuie sur une conception instrumentale et linéaire des apprentissages, réduits à une somme fragmentée de compétences déclinées en tâches à accomplir, écrasant des pans entiers de la culture mais incluant des comportements normés (notamment dans les compétences 6 et 7). Le LPC juxtapose des items très disparates, de nature différente et de difficulté diverse, qui n’ont rien de mobilisateur pour les élèves et qui rebutent même les enseignants les plus motivés par l’approche par compétences.

Le LPC marque une véritable régression pédagogique qui ne doit pas surprendre. Car avec la loi d’orientation de 2005, le législateur a renoncé à se donner les moyens d’une réforme en profondeur des enseignements – programmes disciplinaires et méthodes pédagogiques. L’Education nationale a fait l’économie d’une réflexion sur ce que devrait être aujourd’hui une culture scolaire démocratique, une réflexion qui tiendrait compte des avancées de la recherche pédagogique (au-delà d’un behaviorisme éculé) ou encore des profondes mutations culturelles de notre époque (décohabitation des générations, banalisation des nouveaux média, dématérialisation des savoirs, mémoires conflictuelles, crise d’autorité de la culture savante, éclectisme des pratiques culturelles et sociales des jeunes etc.).



2.    Construire une nouvelle culture scolaire

« Les pratiques des arts, des techniques ou des sports, la place considérable des images dans la vie sociale ne rencontrent qu’une faible traduction dans la culture scolaire, alors même que les sciences et les mathématiques ont une visibilité réduite et occupent une place dominante au sein du monde scolaire. Déjà, le plan LANGEVIN-WALLON proposait d’accorder une place conséquente aux « arts du faire », à l’action, à la production et à la fabrication dans tous les domaines du savoir. Or l’école continue de produire des exercices scolaires et des pratiques de travail où un exercice chasse l’autre, aussitôt oublié qu’il est noté. Ni la recherche, ni le questionnement, ni le tâtonnement, ni l’analyse des erreurs n’ont une place suffisante dans nos enseignements »
(Denis PAGET, « Ecole et distance culturelle », in Pour en finir avec les dons, le mérite, le hasard, ouvrage collectif dirigé par le GFEN, La Dispute, 2009)


La « redéfinition du socle commun » voulue par le nouveau Gouvernement doit être l’occasion d’ouvrir avec la communauté éducative un vaste chantier, celui de la construction d’une nouvelle culture scolaire. Cette nouvelle voie devra éviter le manichéisme entre deux attitudes : trop s’adapter aux élèves et à leurs pratiques culturelles en renonçant à toute exigence ou sommer tous les jeunes de rentrer dans la culture des élites. Or il y a place, sans aucun doute, pour une réflexion sur les valeurs, sur les cultures vivantes, sur la chance que nous offre aujourd’hui l’intensification des échanges et des dialogues interculturels.

Cette nouvelle culture scolaire, qu’on la nomme « socle commun » ou « culture commune », pourrait se matérialiser dans un document, véritable référentiel final de la scolarité obligatoire. Ce document ne serait pas destiné aux élèves – assurément il faut abandonner le LPC et sortir les enseignements du culte de la performance individuelle pour les replacer dans une perspective commune. Il s’agirait plutôt d’un document cadre pour les programmes disciplinaires et les projets d’établissement.

Les pistes à creuser sont nombreuses, à commencer par la rénovation des programmes eux-mêmes, pour laquelle seule une concertation très large permettra de s’affranchir des corporatismes. Les programmes doivent être revisités, rendus plus accessibles et mobilisateurs, moins chargés en connaissance à mémoriser, plus ouverts sur les cultures vivantes et la construction de l’identité collective, permettant aussi davantage la réflexion critique et la mise en activité. Un document cadre les rendrait plus cohérents entre eux, pour dégager notamment des objets d’étude favorisant un travail interdisciplinaire qui donne plus de sens aux apprentissages.

Plus profondément, il faut reconfigurer et déhiérarchiser les savoirs scolaires, c’est-à-dire en premier lieu revoir l’importance des horaires affectés aux différentes disciplines, mais aussi prendre en compte de nouveaux champs du savoir et de la culture. Ainsi les jeunes doivent être beaucoup mieux formés à la culture visuelle et médiatique, à la diversité linguistique, au droit ou encore aux méthodes documentaires. La technologie, les disciplines artistiques et l’EPS doivent être revalorisées.

La mission de l’Ecole ne doit pas se réduire à l’acquisition d’une somme de compétences et de connaissances, aussi nécessaires soient-elles. Pour éveiller l’élève à la curiosité, l’aider à structurer sa pensée et à former son jugement, l’Ecole doit valoriser davantage une démarche de projets, individuels et collectifs, encourageant les élèves à exercer leur initiative et leur créativité à travers diverses réalisations, y compris des « chefs d’œuvre » qui soient objets de fierté et puissent être présentés (soutenance, exposition, représentation etc.). La variété des productions dans l’établissement témoignera de l’appropriation par les élèves d’une culture scolaire vivante et fera le lien avec la société, ses artistes, ses experts ses associations. L’Ecole gagnera en outre à développer des voies pédagogiques qui combinent savoirs théoriques et méthodes actives, démarches déductives et inductives, argumentation et arts du faire. 

Cette rénovation de la culture scolaire doit inclure une remise à plat de nos modes d’évaluation, allant vers plus de sobriété – la note chiffrée sur le bulletin n’est probablement pas indispensable avant la 4e – et surtout plus d’efficacité en privilégiant la progression, plutôt que la note sanction. A cet égard, les enseignants gagneraient à être formés à différentes méthodes qu’ils pourraient combiner : notation chiffrée ou par grade, contrat de confiance, approche par compétence, évaluation en deux temps etc.

Ce grand chantier appellera quelques bouleversements dans l’organisation des enseignements, dans les processus d’orientation, dans le rapport des jeunes et des adultes à l’Ecole, dans la formation pédagogique des enseignants… Mais seule une refondation de la culture scolaire peut donner sens et cohérence à ces bouleversements.


Premiers signataires :
Laurent TOUZET (secrétaire fédéral à l’éducation, maire adj. Paris 12e), Hazim ABBAS (75), Pierre ARNOUX (75), Violette ATTAL-LEFI (maire adj. Paris 12e), Dominique AUBRY (75), Guillaume BALAS (président du groupe socialiste au Conseil régional d’Île-de-France), Cyril BELIER (75), Muriel BLAISSE (secrétaire de section, Paris 9e), Amine BOUABBAS (75), Evelyne BOULONGNE (75), Pascal CHERKI (député, maire, Paris 14e), Gabrielle CHAMARAT (75), Jean-Louis CHAPUIS (93), Patrick CLASTRES (animateur du groupe « Savoirs et émancipation » du Laboratoire des Idées), Alain CORLET (75), Mathieu DELMESTRE (75), Françoise DUMONT (75), Capucine EDOU (75), Odile GAILLARD (Maire adj. Athis Mons, 91), Emmanuel GREGOIRE (secrétaire de section, Paris 12e), Jean-Pierre GRYSON (75), Sébastien gué (75), Liliane GUIGNARD-GISSELBRECHT (secrétaire fédérale adjointe à l’éducation, 75), Vincent JAROUSSEAU (maire adj. Paris 14e), Aurélie KIENE (75), Egmont LABADIE (75), Simone LANDRY (75), Philippe LEPEUDRY (75), Louise MAISONS (75), Christiane MARCAILLOU (75), Mathieu MARIE (conseiller municipal de Guénange, 57), Delphine MAYRARGUE (secrétaire nationale adjointe au travail et à l’emploi), Laurent MIERMONT (maire adj. Paris 13e), Jean-François MINOT (75), Rodolphe MONGUE-DIN (75), Claire MOREL (conseillère de Paris), Olivia NGON (75), Carine PETIT (maire adj. Paris 14e), Jean-Louis PIEDNOIR (secrétaire de section, ministère de l’éducation nationale, 75), Bastien RECHER (secrétaire fédéral à l’animation politique, 75), Marie-Claude RICHET (75), Anne-Marie ROMERO (75), Michel ROUSSELOT (75), Audrey SAUNION (75), Isabelle SIMON (75), Ambroise SOLOMON (75) Laurent SOUCHARD (93), André STAROPOLI (75), Véronique STEPHAN (75), Gérard SÜSS (75), Guy TABACCHI (conseiller d’arrondissement, Paris 12e).